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Entretien avec Charlotte Garson dans les Cahiers du Cinéma.
Numéro 803, Spécial Montage. Novembre 2023










Céline Perreard a été assistante monteuse pendant plusieurs années, notamment auprès du monteur Yann Dedet (L’économie du couple de Joachim Lafosse), et de la monteuse Anne-Sophie Bion (The Search de Michel Hazanavicius et Ce qui nous lie de Cédric Klapisch).

Elle questionne la place de l’assistant monteur au cœur de la post-production cinématographique.














Adaptabilité dans la salle de montage

de Céline Perreard


S’adapter au réalisateur,
C’est être confronté à un être avec qui vous allez passer de nombreuses semaines, voire des mois, 10 heures par jour.
Il faut se familiariser à sa voix, à son odeur.
A sa personnalité, et à ses habitudes culinaires.
Au début c’est l’euphorie, on se comprend,
je découvre sa sensibilité, son goût pour les sports de combat, quel heureux hasard, nous avons fait tous les deux
dans notre vie, du jiujitsu brésilien.
Ce qu’il.elle me raconte me fait vibrer.
Mon striatum s’illumine,
j’ai l’impression que je suis en train d’augmenter mon conatus.
Je sens mon être croitre,
je me sens puissante.

C’est la première phase, on dérushe, on monte les séquences,
on est d’accord sur le jeu des acteurs, sur la justesse de telle prise.
La première version du film est achevée.
Le lendemain: projection de la première version, je fais un peu plus attention à comment je m’habille.
Je me dis ça y est je suis amoureuse.
Mais attention! Illusion!
Le montage est une histoire d’amour platonique.
C’est important qu’elle reste platonique.
Sinon la chaîne de création peut être brisée.
Parce que passé ces quelques semaines d’euphorie,
le boomerang de la névrose refait surface.

La première version est une catastrophe.
On se rend compte que l’actrice principale est muette et sans expression.
Que le film est beaucoup trop long,
bref que Cannes cette année c’est raté!

Il faut rassurer le réalisateur.
C’est là que notre jeu d’acteur rentre en scène,
et que le vrai contrat de confiance entre le réalisateur et le monteur est signé.
Les matins suivants, quand on arrive, on se raconte nos petits tracas du quotidien, et nos rêves.
La routine s’installe.
On commence à mettre dans les coupes du film
nos digressions et nos confessions.
La longueur des plans, le rythme interne de la séquence,
c'est le temps juste de la confession qui vient enfin.
C'est la confession qui n'apparaît pas dans les dialogues du scénario,
qui n'est pas écrite dans la note d'intention.
Non c'est la confession que le réalisateur a gardé seulement pour lui durant toutes ces années,
et qu'il vous livre au détour d'une discussion, comme ça.
Et c'est ce qui va tout rendre plus profond, plus sensible.
donc on continue à charger l'intérieur des coupes.

Et puis il y aura la phase de dépression.
Celle durant laquelle le réalisateur va s'éloigner de plus en plus de la table de montage.
il va se retrouver de plus en plus loin de moi...
Jusqu'à s'assoir sur le canapé directement quand il arrive.
Puis s'allonger.
Et tout cela doit paraître comme normal.
Nous les monteurs, on ne doit faire aucune remarque quand à cette position très étrange de monteur qui se transforme progressivement en psychothérapeute.
C'est un signal d'alerte pour le monteur.

Le réalisateur ni le monteur ne doivent se complaire dans ces rôles.
Dans le montage du film, c'est le moment de la non complaisance.
On coupe les queues de séquence où on a compris l'essence.
Quand l'émotion est là, c'est gagné.
Inutile de trop en laisser au spectateur.
Sinon ça devient tire larme...

Quand on regarde cette dernière version, on a le souffle coupé, et quand on rigole, on se pisse dessus.

Cela prend du temps de trouver le chemin juste du film.
Et au final, nous faisons croire aux spectateurs que tout cela était une évidence.

Février 2020




Adaptability in the editing room

by Céline Perreard


You have to adapt to the director;
to be confronted with a human being with whom you are going to spend many weeks, even months, ten hours a day.
You have to get familiar with their voice, their body smell, and to their personality.

At the beginning it's euphoria,
we understand each other,
I discover his sensitivity,
his taste for combat sports.
Oh what a happy coincidence,
we have each practised Brazilian jiujitsu.
The real game can start.

What he tells me makes me vibrate.
My striatum lights up, I feel like I'm increasing my conatus.
I feel powerful.
It's the first phase,
we edit the sequences,
we agree on the actors' acting,
on the accuracy of this shot.
The first version of the film is completed.
Some weeks later, we are watching the rough cut.
I pay more attention to how I dress.
I tell myself that's it, I'm in love.
But beware ! Illusion !


Editing is a story of platonic love
but it is important that it remains platonic.
Otherwise the creative chain can be broken.
Because after these few weeks of euphoria,
the boomerang of neurosis is coming up.
The first version is a disaster.
We realize that the main actress is mute
and without facial expressions.
That the film is much too long so that is Cannes festival missed this year.
We must comfort the director.
This is where our acting comes into play,
and the real contract of trust between the director
and the editor is signed.

The following mornings, when we arrive in the editing room,
we tell each other about our little daily worries and our dreams.
The routine takes hold.

We begin to put in the cuts of the film,
our digressions and our confessions.
The decision of the duration of the shots and the rhythm of the sequences can be very precise at this moment,
because this is the right time for the directorʼs confessions.

It is The big confession which does not appear in the dialogues of the script, not in the main intentions neither.
No, it is the confession that the director has kept only for himself during all these years, and that he delivers you, at bend of a conversation, like that.
And that's what is going to make everything deeper and more sensitive.
So we keep loading the inside of the slots.

Then there will be the depression phase. The one during which the director will move further and further away from the editing table.
He find himself further and further away from me ...
Until sitting directly on the sofa upon arrival.
And then lie down.
And all of this should seem normal.
We editors should not make any remarks about this very strange position of the editor who is gradually
turning into a psychotherapist.
It's a warning signal for the editor.

Neither the director nor the editor should take pleasure in these roles.
In the editing of the film, this is the moment
of no complacency, without self-satisfaction.
We cut the sequence tails, begginings and endings,
I mean where we understood the essence of the scene.

When the emotion is there, it's won.
No need to leave too much for the viewer.
Otherwise it just moves us to tears for free.
So the adaptability in the editing room adds definitely
to the creative process of editing.
It's the invisible part of the final result.
It's what happens within the story.
It's about the director's unconsciousness.

It takes a lot of time to find the right path.
And at the end, we make believe to the audience that all of this was just evidence.


February 2020